L’invention de l’écriture

La première écriture ? Des chiffres !


  • Les concepts centraux : rupture, temps, durée, mémoire.
  • Les objectifs notionnels : chiffres et nombres, alphabet.

  1. LES REPRÉSENTATIONS DES ÉLÈVES

Une représentation est dominante chez les élèves, la certitude que l’écriture des nombres est venue bien après celle des lettres. Comme si les nombres appartenaient à la langue avec laquelle ils parlent ; un jour le mot « un » aurait été codé « 1 ». Le manque de perception des concepts de nombre et de chiffre ne facilite pas chez les élèves une mise en perspective temporelle de ces inventions.

L’invention de l’écriture des chiffres comme des lettres n’est pas non plus perçue dans son évolution. Non pas qu’il serait naturel que les élèves sachent toutes les étapes mais ils pensent que les inventions se font de but en blanc, hors de toute durée, hors de tout processus.

Et bien évidemment, ces inventions sont toujours pensées par les élèves et souvent présentées par les manuels comme coupées de tous rapports sociaux. Pour les Sumériens ou les Akkadiens, il s’agit de rapports sociaux entre propriétaires et bergers, entre sédentaires et bergers semi-nomades.

La situation que nous proposons permet aussi aux élèves de travailler à nouveau sur des concepts mathématiques (chiffre et nombre, mais ils ont ici leur importance), mais aussi, s’agissant d’une invention de réinvestir les concepts de rupture, temps et durée utilisés pour les inventions de l’agriculture et de l’élevage. Enfin, dernier concept en travail, celui de mémoire car l’écriture sert à fixer, ici afin qu’il n’y ait pas de contestation.

  1. LE POINT SUR LA QUESTION

Les chiffres, les premières traces écrites !

Quand on cherche dans un dictionnaire le mot « calcul », il nous indique qu’il est de la même famille que le mot « calcaire » : « calculi ». C’étaient des pierres portant des inscriptions géométriques qui étaient des traces qui étaient autant de mémoires de comptes agricoles. Ces pierres ont été retrouvées il y a 6 000 ans entre le Tigre et l’Euphrate (la Mésopotamie).

Au départ, les comptables sumériens ou akkadiens utilisaient des boules creuses remplies de petites pierres. Chaque pierre représentant une tête de bétail. Lorsque le berger revenait, il suffisait de casser la boule et de vérifier que le nombre de pierres et celui de moutons étaient identiques. Et pour ce faire, nul besoin de savoir compter : il suffisait d’enlever une pierre de la boule à chaque fois qu’un mouton rentrait dans l’enclos.

Ensuite, les boules ont été supprimées et remplacées par des marques, des coins faits dans l’argile. Une étape supplémentaire dans l’abstraction. Des dessins simplifiés accompagnaient ces coins et représentaient le type de culture ou de bétail concernés. Ce sont les ancêtres de l’écriture.

Nous n’abordons pas ici une rupture fondamentale qui a consisté en l’abandon de ce système de notation, la numération additive, pour inventer la numération positionnelle, en passant par des systèmes hybrides comme la numération romaine[1]. Cette révolution est en définitive assez proche de celle qui donne sens à la révolution de l’alphabet. En effet, dans un cas comme dans l’autre, avec peu de signes (10 dans notre numération, 26 dans notre écriture), on peut écrire tous les nombres et tous les mots.

Nous conseillons beaucoup de prudence dans la présentation des différents systèmes d’écriture car, en général, les présentations dans les manuels sont erronées. Les auteurs mélangent fonction de l’écriture (hiéroglyphes), forme d’écriture (cunéiformes) et systèmes de codage (idéogrammes et phonogrammes) en passant sous silence la rupture présentée dans cette situation-problème.

L’alphabet : une révolution

 Les écritures antérieures transcrivent des mots, des syllabes. Pour les maîtriser, il faut connaître un grand nombre de caractères, 1 000 pour les Chinois, 600 signes en Mésopotamie. Avec l’alphabet phénicien, alphabet consonantique qui ignore les voyelles, 22 signes suffisent. Les voyelles trouvent leur place à la lecture. Pour prendre un exemple,  on écrit parfois en français beaucoup « bcp » quand on prend des notes rapidement (il n’y a pas plusieurs possibilités). Les langues sémitiques comptent peu de voyelles (3 pour l’arabe). Cet alphabet aurait été inventé par les Phéniciens, il y a 3 500 ans ou plus. Son expansion aurait été favorisée par les activités marchandes des Phéniciens.

8 siècles av. J.‑C., deux alphabets voient le jour : l’alphabet araméen (proche de celui des Phéniciens) dans les cités de Syrie, 7 siècles av. J.‑C., apparaît l’hébreu (qui ne note pas les voyelles et qui se lit de droite à gauche, comme l’araméen). Aux environs du 8e siècle av. J.‑C. on parle en Grèce une langue que ne peuvent transcrire ces alphabets. Si bien que les Grecs, pour noter leurs voyelles, empruntent à l’alphabet araméen plusieurs signes qui représentent des consonnes absentes de leur langue.

Durée

Organisation

Mission

Séquence

Faire vivre une situation-problème concrète qu’un enfant a pu vivre, amène les élèves à réinventer les premiers signes écrits : les chiffres

10 m
  • Émergence des représentations.
  • Lecture rapide de quelques propositions choisies pour leur diversité.
Imaginez comment a pu naître l’écriture ? Répondez individuellement, par écrit, vous avez 5 minutes au plus.
½ h
  • Lecture d’une situation-problème, inspirée par le conte « L’enfant au lama blanc ».
  • Répartition des élèves en groupes afin qu’ils inventent une solution à la situation dont l’une peut être d’isoler un ensemble d’objets dont le nombre est le même que celui des moutons.
Imaginez une solution inventée par l’enfant pour qu’il ne tombe pas dans le piège.
¼ h
  • Exposé et écoute des solutions des groupes.
  • L’enseignant expose la solution historique, l’écriture mais fait inattendu pour les élèves, l’écriture des nombres.
Vous écoutez les solutions inventées par les autres groupes.

Alors, quelle est la plus probable? Écoutez ce qui s’est réellement passé.

10 m Exposé par l’enseignant des différents systèmes d’écriture, en insistant bien sur la rupture phénoménale de l’écriture alphabétique puisque avec 26 signes (en français), on peut écrire tous les mots de la langue. Après les chiffres, les hommes ont inventé l’écriture, puis, il y a peu de temps,  l’alphabet.
  1. INDICATIONS SUR L’ANIMATION

L’animation de la situation-problème est assez légère puisqu’il n’y a pas de documents distribués, à lire par les élèves. La seule difficulté qui pourrait se poser est celle que l’on rencontre à chaque fois que l’on place les élèves en situations de recherche, c’est que ceux-ci n’inventent pas ce qu’on avait prévu qu’ils imaginent.

Comme d’habitude, il faut faire la part entre les inventions qui sont effectivement des solutions pour Llaco, le petit indien du conte et toutes celles que vont proposer les élèves. Un propriétaire « espagnol » veut lui voler, en préservant les apparences, son lama blanc (ce lama symbolise le peuple indien). Pour ce faire, il tend un piège à Llaco : il l’envoie garder des moutons en les comptant devant lui, mais Llaco ne sait pas compter. Quand l’enfant rentre, devant témoins, le propriétaire recompte les moutons, il en manque 2 qui n’ont, bien sûr, jamais existé. Le prix à payer pour l’enfant est la cession de son lama. L’invention du système qu’utilisaient les propriétaires et les bergers sumériens ou akkadiens n’est probablement pas le seul possible.

Il faut donc prendre en compte les systèmes ingénieux que pourraient inventer les élèves, et si la solution historique n’est pas re-trouvée, l’enseignant doit la leur présenter. Mais au lieu d’une présentation qui se ferait initialement, sans que les élèves n’aient des questions en tête, cet exposé se fait alors en situation d’être, et entendu, et compris.

Par la suite, différents documents puisés dans la bibliographie peuvent être fournis aux élèves afin qu’ils visualisent ce qu’ont été les premiers spécimens d’écriture pour les chiffres et les nombres et, ensuite pour les idées, mots, syllabes et lettres, sans rentrer dans les subtilités que nous avons présentées dans le point sur la question.

  1. DOCUMENTS DE TRAVAIL :

Une situation-problème posée par l’enseignant qui peut s’inspirer de L’enfant au lama blanc de Nadine Garrel (cf. bibliographie). L’enseignant peut raconter le piège dans lequel est tombé l’enfant et demander aux élèves d’inventer une solution pour que l’enfant ne soit plus une victime. Il peut aussi couper le récit au moment où l’enfant fait remarquer au propriétaire qu’il ne sait pas compter et que l’on voit venir le piège.

Attention à ce que les élèves n’en concluent pas que l’écriture a été inventée en Amérique. Elle peut être resituée en Mésopotamie.

– Attends ! s’écria don Guillermo alors que Llaco franchissait la porte. Et… si je te donnais un peu … d’argent, me vendrais-tu ton lama ?
– Je ne le vendrais pas, monsieur.
– Beaucoup, beaucoup d’argent.
– Non, monsieur, pardonnez-moi.
– Va-t-en, imbécile! cria le jeune homme.
– Non, attends! Demain, tu verras don Ricardo, l’intendant, il te donnera le troupeau de moutons à garder … Et rien ne t’empêchera d’emmener ton cher animal avec toi, ajouta-t-il avec un drôle de sourire.
[…]
Don Guillermo parlait devant la maison à un gros homme rougeaud. Il fit signe à Llaco de s’approcher.
– Voici don Ricardo qui va te mener garder les bêtes.
Ils conduisirent les moutons par un chemin pierreux qui grimpait tout droit jusqu’au pré.
– C’est ici, dit don Ricardo, tu as cinquante deux moutons à garder, pas un de plus, pas un de moins. Tu dois faire attention au ravin là-bas à gauche et les empêcher de s’en approcher. […] Tu rentreras le trou- peau avant la tombée du jour. Sauras-tu?
– Bien sûr, répondit Llaco en riant, avec le soleil, je sais. Je rentrerai quand il sera là-bas. De son index, il désigna un point dans le ciel.
– Tu sais compter? demanda Ricardo avec un drôle d’air.
– Non, répondit l’enfant en baissant la tête. Au revoir.
– Au revoir.
Llaco s’assit sous un arbre, tournant le dos au ravin. Le lama se coucha à son côté.
[…]
Compter. Sa mère lui avait appris ce qu’elle savait. Jusqu’à dix. « Après, cela ne doit pas être difficile », disait-elle. II ne fallait pas oublier. Llaco compta plusieurs fois à l’aide de ses doigts. Il se souvenait. Jusqu’à dix. Mais après … […] Écrire. Llaco se rappelait les mouvements du crayon sur le carnet quand l’homme comptait les sacs après la récolte et que sa mère et lui attendaient l’argent. […]
Bientôt le jour allait tomber. Llaco se leva et rassembla le troupeau.
Les bêtes couraient en descendant le chemin pierreux, droit devant elles, têtes baissées, et l’enfant les suivait, poussant le long cri des ber- gers que l’écho prolongeait au-delà des collines.
Llaco ouvrit la porte du corral et il y fit entrer son troupeau. Quand il eut refermé la porte, il se trouva face à face avec don Ricardo. Les ouvriers étaient assis le long de la barrière, attendant le repas du soir […]
– Alors, on ne dit pas bonsoir? grogna don Ricardo.
– Oh pardon, señor!
– Tu sembles bien distrait. C’est un défaut pour un berger. As-tu rentré toutes les bêtes?[…]
– Combien t’ai-je dit que tu avais de moutons?
– Cinquante-deux, señor.
– Bien. Compte-les avant de rejoindre les autres.
Llaco baissa la tête.
– Eh bien! Vas-y ! Qu’as-tu?
– Je vous l’ai dit ce matin, señor, je ne sais pas compter.
– Ah! Ah! C’est vrai, j’avais oublié. Tous les mêmes! s’écria don Ricardo. Ils réclament, ils veulent leur terre, ils ne sont jamais contents et ils ne sont pas capables d’apprendre à compter à leurs enfants! Bien! Je vais le faire!
[…]
– Cinquante ! hurla Ricardo. J’ai compté deux fois! Cinquante! Deux moutons ont dû tomber dans le ravin !
– Mais c’est impossible, j’étais appuyé au grand arbre et je tournais le dos au précipice ! Si un seul s’était approché, je l’aurais vu! Recomptez, señor, je vous en supplie !
– Non, non, pas moi! Viens ici! ordonna-t-il au vieil Indien. Toi qui sais compter, vas-y!
Et il se tourna vers les autres.
– Ainsi, personne ne pourra m’accuser de mentir.
Le vieillard entra dans le corral et compta. Les minutes passaient et il n’en finissait pas de compter.
– Alors ? demanda don Ricardo.
Le vieil Indien revint lentement vers eux.
– Cinquante, murmura-t-il.
Puis il ajouta fermement en fixant don Ricardo dans les yeux :
– Mais je ne les ai pas comptés au départ, señor.
– Tu oserais insinuer que je mens ! cria don Ricardo en crachant, que je mens !
Puis il se tourna vers Llaco.
– Je vais avertir le patron. Nous verrons ce qu’il décidera.
[…] La silhouette de don Guillermo avançait vers lui, immense et droite, dans la nuit qui tombait, suivie de celle de Ricardo, plus petite, mais épaisse et vigoureuse.
Bientôt, Llaco vit au-dessus de lui les yeux pâles et durs.
– Bien. En échange des moutons, je prends le lama. […] Hier soir, je t’ai proposé de l’argent et aujourd’hui je l’ai pour le prix de deux moutons.

  • BIBLIOGRAPHIE

Livres

  • André B., 1995, L’invention de l’écriture, coll. Monde en poche, Paris, Nathan Jeunesse.
  • Garrel N., 1977, « L’enfant au lama blanc », dans Au pays du grand condor, coll. Folio Junior, Paris, Gallimard.
  • Jean G., 1989, Le langage de signes : l’écriture et son double, coll. Découvertes Gallimard, Paris, Gallimard.
  • Jean G., 1987, L’écriture, Mémoire des Hommes, coll. Découvertes Gallimard, Paris, Gallimard.
  • Praudel A., 1996, On a inventé l’écriture, coll. Jeunesse, Paris, Réunion des musées nationaux.

Site Internet

 Un dossier pédagogique de la BNF, intitulé, L’aventure des écritures : http://www.bnf.fr/web-bnf/pedagos/dossiecr/index.htm

[1] Pour plus d’informations sur le plan théorique, il faut se rapporter à Ifrah G., 1981, Les chiffres ou l’histoire d’une grande invention, Paris, Laffont. Quant aux implications capitales sur le plan de l’apprentissage de la numération, il faut absolument lire Bassis O.,  1998, Se construire dans le savoir, Paris, ESF, p. 95-119.