Enseigner l’histoire : enjeux et défis

Alain Dalongeville, Marc-André Ethier, David Lefrançois

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Ce livre tente de faire le point sur les principaux débats qui agitent didacticiens, pédagogues et enseignants d’histoire, et de prendre en compte les avancées didactiques qui existent en France et hors de l’hexagone. Il est le fruit, tout à la fois, de notre expérience d’enseignants et de formateurs en France, au Québec, en Ontario, en Italie et au Mexique. Malgré les exemples pris, il ne se réduit donc pas à un livre franco-français pas plus qu’il n’oppose la pratique du « terrain », d’un côté, à la réflexion théorique, de l’autre, car elles sont pour nous non seulement complémentaires, mais contenues l’une dans l’autre et réciproquement.

Ce livre a bien évidemment des partis pris et nous croyons cohérent de les annoncer au lecteur. Un parti pris philosophique qui repose sur le pari que l’échec des élèves comme celui des enseignants n’est en rien une fatalité, qu’il ne peut être que passager pour peu que les uns et les autres le décident. Un parti pris constructiviste qui refuse que l’histoire scolaire soit limitée à la seule activité de mémorisation qui constitue, à notre avis, la négation même de la Mémoire, laquelle est, au contraire, tissée des interrogations que les élèves, en l’espèce, ont la capacité de poser au passé à condition que les représentations qu’ils en ont soient au centre du travail pédagogique. 

Le premier débat est centré sur la question de la finalité de l’histoire scolaire. Ce livre a pleinement conscience que l’histoire scolaire n’est pas l’histoire savante et qu’elle ne peut guère s’émanciper des attentes de la société dans laquelle elle est enseignée. En même temps, l’histoire scolaire ne peut échapper à un minimum de rigueur scientifique. Elle ne peut être l’enjeu de lobbies mémoriels ou politiques sans que les historiens interviennent, car toute interprétation du passé n’est pas assimilable à l’histoire. Ou plutôt, c’est la pluralité et la confrontation de ces rapports au passé qui peut faire histoire et devenir un objet d’enseignement. Si bien que, plus que la relation écrite ou orale de ce qui est advenu, ce sont ces rapports qu’il faut étudier et transmettre, et ainsi contribuer à la formation de la pensée critique et de la pensée historienne. 

Pour ce faire, l’histoire scolaire doit se poser la question de pratiques, et c’est notre deuxième débat, qui soient cohérentes avec le but. Que former des esprits critiques soit ou non une espèce de champ privilégié des enseignants d’histoire, ce but ne peut être atteint sans que les élèves s’y exercent quasi quotidiennement. Et c’est bien là un des problèmes majeurs de l’enseignement de l’histoire scolaire : elle est prise dans un certain nombre de contradictions qu’elle doit apprendre à dépasser. Le noeud central de celles-ci se situe dans le rapport au récit qu’entretiennent historiens, didacticiens et enseignants d’histoire. Nous voulons parler de la difficulté à rompre avec un genre par essence littéraire quoi qu’on en dise, dont certaines modalités sapent les objectifs annoncés par les uns et les autres. Tout n’est pas à jeter dans ce média, mais il faut y regarder de plus près, se poser la question du type de récit, de ses contenus, de l’identité de ses auteurs – les élèves, l’enseignant ? – et du moment où le récit doit intervenir dans une leçon ou un cours d’histoire. 

Pourquoi reposer la question du récit ? Parce que, et c’est le troisième débat, malgré son retour en grâce, la nature et la fonction de l’histoire scolaire ne peuvent ignorer l’usage des concepts. Pour n’en évoquer qu’un seul, celui de pluralité, il est légitime de se demander si récit et pluralité des points de vue sont compatibles. Existe-t-il des concepts à proprement parler historiques ? Sans concepts, est-il possible de faire de l’histoire, d’interroger le passé, de revenir au présent qui seul, peut-être, compte en définitive pour la majorité des élèves ? Sans concepts, peut-on travailler les représentations des élèves ? La place des concepts apparaît donc comme étant centrale et la réflexion épistémologique à ce propos encore peu répandue. Nous n’avons pas voulu dissocier la réflexion sur les concepts historiques de celle des stratégies à mettre en place pour que les élèves puissent les construire si bien que d’autres concepts de nature didactique ou pédagogique interviennent pour donner cohérence et force à l’ensemble. 

Notre quatrième débat porte sur la cohérence des pratiques et des objectifs assignés à l’histoire scolaire. L’enseignement de l’histoire ne peut éternellement rester dans un entre-deux, entre une théorie de la construction des connaissances et des compétences avancées et des pratiques quotidiennes qui nous semblent encore en retrait. Sans oublier l’épineux problème qu’est l’évaluation de cet ensemble. Il est bien compréhensible que les enseignants hésitent à se lancer dans d’autres pratiques s’ils ne se sentent pas en capacité de mesurer les avancées des élèves. Nous avons voulu montrer qu’un travail rigoureux sur les concepts permettait probablement de sortir des pièges que pouvaient être les fameuses questions d’histoire controversées en permettant de dépassionner les débats. 

Aucun de ces débats ne nous paraît achevé soit qu’ils perdurent chez les didacticiens, soit que les enseignants ne s’en soient pas emparés. Peut-être l’enseignement de l’histoire souffre-t-il du fait que les avancées de la didactique ne sont pas suffisamment prises en compte par l’institution et ses différents acteurs. Peut-être les didacticiens souffrent-ils aussi du fait qu’ils ne proposent pas de  modèle global lisible qui serait une alternative aux pratiques actuelles. 

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