Joseph Jacotot

N’expliquez rien : dites à l’élève qu’il vous l’explique lui-même (3)

Les passages cités ci-dessous sont tirés du livre de Jacques Rancière (1) qui lui-même cite le Journal de l’émancipation (2) (1835-1836). Les pistes de lecture sont le fruit d’une collaboration avec Henri Bassis pour une anthologie : Urgence de civilisation.

PISTES DE LECTURE

1. Jacotot (1770-1840) est un ancien conventionnel (il est élu député de la Convention en 1815, pendant les Cent jours, et doit s’exiler en Belgique avec la Restauration) devenu lecteur de français à l’université de Louvain. Il découvre que seul le maître dans son acception habituelle, le maître explicateur, empêche l’émancipation des intelligences. Il milite en faveur non pas de l’absence de maître, mais d’un maître délibéré­ment ignorant. Vraiment ?

2. Dans les activités du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, avant d’avoir lu le livre de Jacques Rancière – le maître ignorant – à propos de Jacotot, nous utilisions souvent la formulation suivante : « expliquer, ça empêche de comprendre car ça dispense de chercher. » Nous l’avons modifiée, après avoir eu connaissance de Jacotot comme suit: « expliquer, ça empêche de comprendre quand ça dispense de chercher car il peut exister une sorte de magistral qui mette toutes les pistes de recherche sur la table, aussi bien celles qui s’avèrent infécondes que les brouillons stériles.

3. Le lecteur pourra mettre en relation ces passages avec la pensée de Montaigne : Notre âme ne branle qu’à crédit, liée et contrainte à l’appétit des fantaisies d’autrui, serve et captivée sous l’autorité de leur leçon. On nous a tant assujettis aux cordes que nous n’avons plus de franches allures. Notre vigueur et liberté est éteinte.

4. Notons en passant que Jacotot avait déjà une réflexion sur le simple et le complexe qu’il encourage à ne pas confondre avec le facile et le compliqué.

L’ancienne méthode fait commencer par les lettres parce qu’elle dirige les élèves d’après le principe de l’inégalité intellectuelle et surtout de l’infériorité intellectuelle des enfants. Elle croit que les lettres sont plus faciles à distinguer que les mots : c’est une erreur, mais enfin, elle le croit. Elle croit qu’une intelligence enfantine n’est apte qu’à apprendre C,A, CA et qu’il faut une intelligence adulte, c’est à dire supérieure, pour apprendre Calypso.

La Vieille s’avisera peut-être un jour de faire lire par mots et alors nous ferions peut-être épeler nos élèves. Or de ce changement apparent d’allure, que résulterait-il ? Rien. Nos élèves ne seraient pas moins émancipés et les enfants de la Vieille ne seraient pas moins abrutis (…).

La Veille n’abrutit pas ses élèves en les faisant épeler mais en leur disant qu’ils ne peuvent pas épeler seuls ; elle ne les émanciperait donc pas, elle les abrutirait, en leur faisant lire par mots, parce qu’elle aurait grand soin de leur dire que leur jeune intelligence ne peut pas se passer des explications qu’elle tire de son vieux cerveau. Ce n’est donc pas le procédé, la marche, la manière, qui émancipe, ou abrutit, c’est le principe.

  • (1) J. Rancière, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987, rééd. 10 / 18
  • (2) Journal de l’émancipation intellectuelle, destiné aux pères de famille. Collaborateur Jean-Joseph Jacotot, Éditeur : Librairie Spéciale de l’Enseignement Universel (Méthode Jacotot) et chez Madame Veuve Louis Janet, 1841, 384 pages
  • (3) Cet extrait se trouve sur le site de l’Institut Jacotot : http://www.institut-jacotot.eu/joseph-jacotot/biographie